vendredi 23 novembre 2012

Guérir l'esprit


Entretien avec Taisen Deshimaru, propos recueillis par Marc de Smedt

Le mot japonais « zen » et le mot chinois « ch’an » qui définissent des écoles du bouddhisme,
viennent du sanscrit dhyana et signifient « méditation ». La saveur du zen se confond donc
avec l’esprit de la méditation assise préconisée par le Bouddha
 Tous les grands maîtres de cette tradition ont toujours prétendu que les êtres humains se devaient de guérir
 de pacifier leur propre esprit et que, dans cette démarche-là, se trouvait la solution des maux de l’humanité.

Taïsen Deshimaru. DR
Dans cet entretien effectué peu avant sa mort en 1982, le grand maître zen nous parle de la méditation
comme voie pour équilibrer notre entité psychosomatique aux prises avec les pollutions extérieures
et intérieures.
Ce mondo privé (questions-réponses) eut lieu un soir dans son appartement.
Nous avons tenu à garder, dans la traduction de son anglais, toute la saveur abrupte de ce qu’il appelait
son « zenglish ».

Nouvelles Clés : Quel est l’acte qui importe le plus dans le zen ?

Maître Taïsen Deshimaru : La posture. C’est la posture de méditation qui est la plus importante. Le zazen.

N. C. : Pourtant, il est dit que le zen n’a rien à voir avec la position couchée, assise ou debout ?

T. D. : Oui, l’esprit du zen transcende toutes les catégories. Mais on dit aussi que le zen, c’est zazen,
que la posture elle-même est satori, éveil.

N. C. : Pouvez-vous expliquer cela ?

T. D. : Nous sommes sans cesse en train de courir, de penser, d’errer à la recherche de quelque chose.

Se mettre dans la posture, faire zazen, permet d’arrêter le mouvement, de stopper le processus de fuite
en avant, ce processus qui fait que l’on se retrouve à l’heure de sa mort en ayant gâché sa vie
dans l’illusion de la vivre.

N. C. : Le zen, c’est donc l’arrêt du geste ?

T. D. : Avant tout il faut arrêter les habitudes, stopper le déroulement du karma, cet enchaînements des causes
et des effets dans notre vie quotidienne, le laisser filer loin de nous comme des nuages filent au-dessus de la
montagne sans jamais l’emprisonner. Une partie du malheur de l’humanité vient du fait que les gens ne savent
pas se libérer de l’emprise de leur karma, de l’attachement à leur histoire personnelle.

N. C. : Mais le karma, c’est aussi la famille, le enfants, les amis, le travail.
On ne peut abandonner tout cela...

T. D. : Il ne s’agit pas d’abandonner mais de lâcher prise...
Quand on dit que les moines doivent abandonner leur famille cela ne veut pas dire qu’ils doivent la laisser
mourir de faim. Non. Il s’agit en fait de ne plus être attaché à l’esprit des choses,
d’avoir une certaine distance par rapport aux émotions qu’elles suscitent.
La compassion n’est pas sentimentalisme geignard, mesquin et confortable mais vrai amour qui aide.
Et puis le karma est à l’oeuvre dans notre cerveau : karma du passé, du présent et du futur s’y mélangent,
donnent une vraie soupe nauséabonde !
Vous connaissez l’histoire de la vieille vendeuse de gâteaux qui dit au jeune moine qui veut lui en acheter un :
« Avec quel esprit allez-vous manger ce gâteau ? Avec l’esprit du passé, du présent ou du futur ? »
Le jeune moine s’enfuit car il est trop sot pour répondre ! Le karma est aussi créé par le trop-plein de pensées,
de désirs, de rêves qui s’agitent dans nos têtes. La plupart des gens font ainsi plus de sexe avec leur tête
qu’avec leur bol ou leur bâton ! (rire tonitruant).

La posture immobile permet de couper le karma :
Je dis toujours : Laissez passer les pensées comme les nuages
dans le ciel, laissez passer, passer, passer... Il faut épuiser le trop-plein de pensées,
alors le cerveau peut recevoir de nouvelles informations.
Une bouteille pleine ne peut plus rien contenir ; une bouteille vide, oui. Mais pour bien laisser passer,
il faut se concentrer sur la posture de méditation : dos droit, bassin basculé, nuque droite,
pouces qui ne doivent faire ni montagne ni vallée, yeux mi-clos, se concentrer sur l’expiration la plus longue
possible jusque dans le hara, le kikai tanden, l’océan de l’énergie qui se situe dans l’abdomen.
Vos postures ne doivent pas être comme des bouteilles de bières éventées !
Elles doivent être fortes, riches, belles, alors l’harmonie
en vous, la sagesse apparaît. La vraie sagesse se trouve dans l’effort de l’immobilité.
L’effort juste est le plus important.

N. C. : Quelle différence y a-t-il entre le raja yoga et le zazen ?
C’est finalement toujours de la méditation, jambes
croisées en lotus ou demi-lotus !

T. D. : La différence ? C’est le coussin ! (rire). Ce n’est pas une plaisanterie.
C’est le zafu, le coussin rond que l’on met sous ses fesses ! 
Ce simple coussin permet d’équilibrer complètement la posture, de l’ancrer dans le sol, les deux genoux
touchent la terre, le coussin donne tout son sens à la beauté de l’assise. Essayez de croiser les jambes en lotus
sans coussin et vous verrez la différence.
Il y a toujours un genou qui se soulève, même légèrement, et toute la posture n’est pas aussi belle. Ni aussi efficace.

N. C. : Oui. Cette invention du coussin remonte d’ailleurs au Bouddha qui demanda un jour à un paysan
qui fauchait son champ de lui couper de l’herbe sala, une herbe très souple, pour s’en confectionner
un siège permettant d’équilibrer l’assise.

T. D. : Vrai. Vrai (True. True). Bouddha a trouvé la voie du milieu. Il avait vécu une vie de prince trop molle,
puis une vie d’ascète trop exacerbée, il comprit que seul un juste équilibre permettait de trouver sa vérité propre.
Ce n’était pas un hystérique comme beaucoup de spiritualistes !

N. C. : Un instrument de musique doit être justement accordé pour faire de la musique,
l’histoire est fameuse...

T. D. : Oui. Et notre corps est comme un ins- trument de musique qu’il faut savoir accorder pour bien jouer la vie.
Pour apprendre à « négocier la Voie », dit-on dans le zen.

N. C. : Quels sont les grands reproches que vous faites à nos contemporains ?

T. D. : D’être trop faibles (too weak).

La pos ture de méditation peut les rendre forts. C’est la civilisation qui les rend faibles, il y a trop de tout,
trop à manger, trop de bruit, trop de publicité, trop d’images, trop de sexe ; trop, trop.
Tout le monde est intoxiqué, hystérique, la voie naturelle est oubliée...

N. C. : Comment voyez-vous l’avenir ?

T. D. : Beaucoup de destructions, toujours davantage de pollutions. L’espèce humaine ne pourra se sauver que par la sagesse.
La sagesse doit s’élever de l’humanité.

N. C. : Le simple fait de pratiquer zazen peut- il aider à réaliser cela ?

T. D. : Sur le plan personnel, certainement. Sur le plan collectif, le grain de sable de la sagesse peut enrayer la machine emballée.
Peut- être... (Maybe...) Il faut le croire, fortement (strongly), il faut pratiquer, fortement.
Une posture juste influence le monde entier... (silence) ...comme un sourire influence tout le monde autour de vous.
Il y a une grande différence entre les réactions suscitées par un
sourire ou celles déclenchées par une insulte. Faire gassho (saluer les mains jointes) est mieux que dresser le poing !
Et une main ouverte saisit plus que qu’un poing fermé...

N. C. : Vous êtes donc confiant ?

T. D. : A la fin (at to the last) toutes les bulles d’air à la surface d’un cours d’eau font « plop » et reviennent se fondre à ce cours d’eau.
Alors... ce n’est pas la peine de se poser trop de questions : comment va finir l’humanité, comment vais-je mourir,
combien de temps mes enfants vont-ils vivre, comment vais-je survivre, quand est-ce que je vais rencontrer la femme de ma vie,
quand est-ce qu’un homme va coucher avec moi... Quand, comment, pourquoi, on se torture sans cesse avec des questions inutiles.
L’important est l’action : ici et maintenant, agir. La réponse aux questions vient toujours assez vite. La vie est comme une ligne faite
de points. Chaque instant est un point. Plus chaque instant est vécu fort, plus les points, et donc la ligne, sont forts.
Il faut tracer sa vie, fortement. La posture de méditation aide, c’est tout. Elle aide à guérir le corps et l’esprit.

N. C. : Vous dites aussi souvent que faire zazen, c’est entrer dans son cercueil. Qu’ est-ce que cela veut dire ?

T. D. : C’est votre koan ! (rire tonitruant).

N. C. : Je peux y répondre ?

T. D. : Certainement.

N. C. : Voilà. Dans la posture on retrouve un état qui existe avant notre naissance et après notre mort.
On ressent un vide qui préexiste à notre existence. Si on devient vide (ku) on rejoint l’énergie primordiale (ki).
C’est ça ?

T. D. : Comme vous voulez ! N’oubliez jamais cette phrase de l’Hannya Haramita Shingyo(le sutra de la Grande Sagesse
que l’on chante souvent dans les dojos zen, à la fin des zazen du matin) :

Ku soku ze shiki

Shiki soku ze ku

Le vide crée le phénomène

Le phénomène créé le vide.

Il faut voir au-delà de la dualité. Au-delà du par-delà...

N. C. : Sensei, vous dites souvent que les gens sont trop égoïstes. Comment remédier à cela ?

T. D. : Par la pratique de la méditation, par le zazen, les bonnos (illusions, travers, défauts) décroissent naturellement, inconsciemment, automatiquement. Regardez-vous : avant, vous ne pensiez qu’à vous, maintenant vous faites des livres pour les autres (rires) !
Les Occidentaux ont cru jusqu’à maintenant que le zen est une philosophie intellectuelle. Or, au contraire, pratiquer le zen consiste
à penser avec son corps, c’est unir le corps et l’esprit, c’est une sagesse du corps. Ch’an, zen, dhyana, zazen, tous ces mots définissent
la méditation qui est pratique de tout le corps. Ainsi peut-on équilibrer les deux cerveaux. L’être moderne est gravement malade :
la pratique de la méditation peut l’aider à devenir sain. Ce n’est pas la peine de s’enfuir dans une grotte dans la montagne pour cela.
La posture elle-même est la grotte et la montagne. Où que vous soyez existe la vraie liberté, celle du poisson dans l’eau ou de l’oiseau
dans le ciel. Mais on peut amener un cheval à la rivière, c’est à lui de boire... Transformer son karma reste l’affaire de chacun !


dimanche 18 novembre 2012

Réflexion du dimanche


"Ne me ne demandez pas où je vais.
Je voyage dans ce monde sans limite
Où chaque pas est ma maison."
Maître Dogen



mercredi 7 novembre 2012

1er Zazen toulousain

Merci pour cette belle ambiance !
Merci à mon maître Sando Kaisen  et à son maître Taisen Deshimaru pour ces précieux enseignements que l'on peut retransmettre !